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Cahiers critiques de philosophie n°1

  Résumés des Cahiers critiques de philosophie > n°1

Cornelius Castoriadis : Validité de la philosophie et impossibilité de sa clôture
La philosophie s’inscrit dans la continuité de la création humaine. C. Castoriadis inscrit la validité de droit de la philosophie dans le champ social historique, c’est dans ce dernier que la philosophie doit se déployer et acquérir en même temps sa validité de droit, une validité qui doit être transhistorique, réflexive et conditionnelle, pour se faire elle doit penser et inclure le présent dans l’altération du champ social historique. C. Castoriadis montre ensuite que, contre les idéalités distinctes dans l’histoire de la philosophie, la signification tout comme la pensée est phénoménale. C. Castoriadis pose quelques conditions pour qu’il y ait validité de droit de la philosophie : elle doit avoir sa cohérence interne, sa capacité de rendre compte et raison de ce qu’elle dit sans limite, ainsi que sa capacité à communiquer avec ce qui est sans en rien exclure. Pour empêcher une philosophie de se clore, C. Castoriadis pose deux conditions : la pluralité des philosophies, la rencontre et le dialogue avec d’autres philosophies et tenir compte de la création sociale-historique, de nouvelles significations et de nouveaux modes de penser.

Driss Bellahcène : La piété dangereuse
'La piété dangereuse'' renvoie dans cet article de D. Bellahcène, au phénomène du fondamentalisme religieux, qui s'est imposé dans le monde arabo-musulman contemporain. Ce fondamentalisme, essaye selon l'auteur, de se présenter comme fidèle à la tradition orthodoxe, alors qu'il trahit par l'excès, la violence et le littéralisme, la substance de l'islam, qui s'est constitué comme porteur de la modération et d'un rapport apaisé avec la foi et la société.
D. Bellahcène propose de démasquer la manière par laquelle la classe des ''nouveaux oulémas'' manipule les textes religieux, en les enfermant dans des interprétations partiales et anhistoriques. L'auteur procède à une lecture qui puise ses schèmes et concepts dans la philosophie de F. Nietzsche : le ressentiment, la volonté de puissance et le nihilisme seront véhiculés pour analyser le fondamentalisme. Il en ressort que la crispation des fondamentalistes et leur fanatisme, apparaissent comme une forme réactive, dénotant le refus violent de l'ordre établi, et surtout la négation de la vie. D. Bellahcène ne se contente pas d'analyser les symptômes du fondamentalisme, il propose, pour éradiquer ce phénomène, de renouer le dialogue avec la tradition théologico-philosophique de l'Islam, afin d'échapper à la clôture dogmatique imposée par les manipulateurs du sacré. L'auto-critique et la réflexion philosophique peuvent mener le combat contre le fanatisme religieux, à condition de réfléchir sur les conditions de possibilité du discours philosophique dans les pays arabo-musulmans.

Cornel West : Aujourd’hui les problèmes posés par la démocratie nous font peur
Face au recul de la démocratie (qui se vide de son contenu) et l’expansion de l’impérialisme, menace éminente envers la démocratie en Amérique, C. West fait l’inventaire de la disparition des énergies et des pratiques démocratiques dans l’empire américain. Il dégage dans son analyse en profondeur trois vrais problèmes qui mettent en péril la démocratie et le blocage du développement des pratiques démocratiques :
1° : le dogme du fondamentalisme du marché de la libre entreprise, ce qui crée l’inégalité des richesses, la division et la haine des classes s’érigeant tel un fondamentalisme religieux.
2° : Le militarisme agressif, la politique de guerre étrangère unilatérale des Etats-Unis, une invasion coloniale qui légitime le pouvoir et la violence pour régler les conflits et imposer son hégémonie.
3° : Une surenchère d’autoritarisme, la sécurité qui limite et bafoue les libertés individuelles et collectives, qui renforce la surveillance des masses.
C. West, pour remédier et endiguer la menace contre la démocratie, propose alors trois critiques qui peuvent redonner de l’énergie à l’exercice démocratique et lutter contre une Amérique impériale : 1° le retour à l’engagement socratique dans le questionnement ; 2° L’engagement prophétique pour la justice introduite par les juifs ; 3° l’espoir tragi-comique. 

Pascal Michon : Pour une anthropologie historique du sujet
Contre l’historicisme traditionnel des sciences sociales et l’anti-historicisme destructeur de la philosophie, P. Michon entend développer une nouvelle histoire du sujet. La notion du social prédominait dans tout le terrain de la recherche théorique. La philosophie tout comme les sciences sociales se sont débarrassées du sujet par l’importance accordée au primat du concept du social et de la langue sous l’emprise des déterminations indépassables qu’imposent précisément le social et la langue. Michon envisage de fonder une nouvelle théorie du langage qui tiendrait compte de la variété des discours et des critiques des différentes conceptions logocentriques. C’est à travers cette théorie du langage et de la poétique que l’histoire du sujet pourrait être développée.
Mohamad Fashahi : Théologie politique et messianisme dans l’islam chi’ite
Cet article a pour vocation de présenter la théologie politique du chiisme, fraction politico-religieuse minoritaire au sein de la civilisation islamique, dominée par l'orthodoxie sunnite. Face à la persécution terrestre, le chiisme a développé une théologie politique, orientée vers l'attente d'un sauveur qui délivrera la communauté opprimée de l'injustice. Le caractère messianique de l'islam chiite se combine avec une vision manichéenne de l'histoire (Bien-Mal ; Moi-Autre ; Foi véridique-Mécréance… etc.), qui dénote l'influence de plusieurs religions (mazdéisme, zoroastrisme, et christianisme). C'est cet apport millénaire qui fera du chiisme, selon l'auteur l' « héritier digne » de la théologie politique du messianisme.
Afin d'illustrer cet enracinement historique du messianisme politique chiite, l'auteur présente deux figures représentatives de la théologie politique au sein de ce milieu : Ahsâi (1753-1826) au Bahreîn, et Bâb (1819-1850) en Iran. Les traits communs des deux mouvements messianiques guidés par ces deux hommes sont l'attente du sauveur, l'ésotérisme et l'hermétisme. L'échec politique de ces deux tentatives mène l'auteur à considérer la théologie politique du messianisme comme « l'échec cuisant d'une utopie », et à s'interroger sur son actualité dans la culture chiite, surtout après la victoire du modèle théologico-politique de Khomeyni en 1979.

Frédéric Rambeau : Sujet en fuite
Dans cet article, F. Rambeau discute le concept de la subjectivation dans la constitution de la subjectivité moderne, du double processus de la subjectivation-assujettissement à la lumière de la conception de G. Deleuze, F. Guattari et M. Foucault. Il discute d’une réelle émancipation du sujet dans le processus constant de son redoublement, de son assujettissement, de son identification et de sa fixité dans le temps. Le processus de subjectivation chez G. Deleuze et F. Guattari réside dans un processus d’agencement de désir, dans un devenir de désassujettissement qui ne saurait être la passivité de la dissolution du sujet, mais un faire-fuir positif qui échappe à la domination. Tandis que chez Foucault, le sujet pris dans des agencements de pouvoir, bio-pouvoir, bio-politique, le processus de subjectivation est compris comme un processus qui se fait à travers des stratégies et des relations de pouvoir. A partir de la politique de la rage évoquée par Judith Butler, le désassujettissement passe par la dépossession perpétuelle de soi permettant au sujet de s’émanciper et de se libérer de lui-même et du pouvoir d’Etat. Agamben permet de penser la difficulté de la positivité de la désubjectivation en ce qu’elle n’est pas réductible à une dissolution prise négativement, mais engendre la positivité de la subjectivation dans la puissance impersonnelle de la vie. Devenir sujet de sa propre désubjectivation, c’est ce que conclut F. Rambeau ici.

Mohamed-Hassen Zouzi-Chebbi : Le soufisme, son impact sur la poétique arabe, sa dissémination spatio-temporelle, sa présence dans l’œuvre poétique, la vie et la pensée philosophique du poète tunisien Abul Qācem Chabbi
Cartes gagnantes et Clefs d’or de paroles sonores ouvrant les quatre Portes Magiques de la mystérieuse crypte des oubliettes politiques où sont séquestrées de plusieurs langues étrangères, métisses, créoles et bâillonnées. Une combinaison riche, complexe sans sophistication, confluence de sensibilités et de talents différents et complémentaires, servie par un perfectionnisme réfléchi et résonnant d’une sincérité émouvante, qui donne à réfléchir, à jouer gagnant, à rêver sur les lointaines rives et rimes des images et des paroles dites, écrites, illustrées. [L’auteur]

René Schérer : Vieillards en harmonie suivi de Vieillesse, un art de vivre
La vision classique de la vieillesse qui était chez les stoïciens hostile au désir et à la jouissance du corps est tournée en dérision par l’utopiste Charles Fourier pour donner un autre statut à la vieillesse en redonnant les éléments du plaisir et du désir aux vieillards que la civilisation leur a enlevé. R. Schérer fait résonner le sens de l’ordre harmonique de Ch. Fourier qui n’est pas une aspiration à un ordre égalitaire entre les âges mais leurs mélanges, le pouvoir d’avoir des amours multiples en nombre et en genre, c’est-à-dire dépasser les ordres et normes sociales de la sexualité centrés sur une personne unique. R. Schérer parle de la censure à l’encontre de la vision fouriériste de la vieillesse, de ses thèses transgressives et subversives par rapport à l’ordre établi des âges et de la sexualité. R. Schérer ajoute un texte sur G. Deleuze parlant de la vieillesse dans lequel   la philosophie est posée comme une méditation sur la vie et non comme une méditation sur la mort.  Etant vieux, on acquiert une souveraine liberté et un état de grâce entre la vie et la mort où les facultés de l’esprit franchissent leurs limites.

Jean-Louis Déotte : De la différence entre une mésentente et un différend…
Dans cet article J.-L. Déotte se propose d’analyser, dans la confluence de deux pensées qui articulent esthétique et politique, la différence de deux modes d’approche esthétique dans la Mésentente de J. Rancière et dans le Différend deJ.F. Lyotard. J. Rancière définit la mésentente comme la division des interlocuteurs dans la parole politique, qui utilisent soit une parole articulée, soit une voix, une parole inarticulée. Pour J. Rancière, l’apparition de ces voix, sensibles font apparaître dans la scène publique le litige, le tort. Elles créent  un espace ouvert en enlevant le voile de l’invisibilité des marginaux et les exclus dans la prise de la parole politique et offre la possibilité  pour les sans-parts, les invus, d’être entendus dans le discours politique. Et, de fait, ils participent aux affaires de la cité et définissent de nouveaux partages du sensible. Tandis que le différend chez Lyotard ne laisse pas de place et voit l’impossibilité de l’articulation du sensible (la voix, Phôné), avec l’intelligible (la parole articulée). Contrairement à J. Rancière qui dit que toute voix est articulable à l’action politique et permet d’avoir un rôle dans la pratique politique, pour J.-F. Lyotard, il y a des genres de discours, des phrases qui ne reposent sur aucun fondement et des voix qui ne peuvent pas être articulées. Déotte conclut qu’il y a une complémentarité entre les concepts de Mésentente et de Différend.

Jacques Croizer : Le physicalisme à l’épreuve de la physique contemporaine
J. Croizer présente une brève histoire du physicalisme (à partir du cercle de Vienne) dont le programme était la soumission des sciences, les usages et les concepts de celle-ci. Ce programme linguistique vise à créer, telle une machine, une langue unifiée pour la science qui entend évacuer le langage de tout ce qui ne désigne pas une entité ou un événement observé. Pour se faire, le programme visé doit surmonter l’épreuve de l’affirmation de l’unification du langage de la science et l’affirmation de la réduction de ce langage à une série d’énoncés atomiques. Le constat général est qu’aucune science ne se plie aisément à cette volonté d’unifier le langage de la science et l’exigence de l’empirisme logique, qui porte sur les événements observés, sans tomber dans le réductionnisme. De plus, dans la physique quantique, l’observation est problématique en ce qu’elle est une action perturbatrice non négligeable et pose une dualité de représentation qui contredit cette volonté d’unité de langage redéfinissant ainsi une autre réalité physique dont la description des faits n’est pas univoque. J. Croizer conclut que le maintien du programme physicaliste se doit de modifier ses hypothèses de départ et passer par un examen critique.

Patrice Vermeren : Du nouveau sur la Révolution française. Une autre République ?
Dans l’opposition des deux paradigmes révolutionnaires de 1789-1791 et la révolution "glacée" de 1792-1794, de la révolution Française, P. Vermeren revisite l’analyse de Miguel Abensour dans son livre Saint Just contre Saint Just en examinant le caractère énigmatique et paradoxal d’une révolution qui se fait au nom de la liberté et en retour utilise les mêmes armes du tyran, la terreur, pour renverser le despotisme. Ce rapport énigmatique entre la servitude et la liberté — énoncé par Claude Lefort : « la liberté et le despotisme de la liberté » — on le trouve dans les discours des deux grandes figures révolutionnaires que sont Robespierre et Saint Just qui justifiaient directement ou indirectement le caractère intrinsèque de la terreur dans la quête de la liberté. Vermeren rappelle que pour M. Abensour, rappelle Vermeren, cette problématique est une dialectique de la raison qui renverse en son contraire une révolution se faisant au nom de la liberté et de l’émancipation. Laurence Cornu, quant à elle, propose le concept inédit d’une politique de la confiance et pose au présent les questions de l’espace public démocratique et de la responsabilité des sujets politiques.

Olivier Razac : La « gouvernementalité »
Le nouveau concept de gouvernementalité fut introduit par Michel Foucault dans son ultime formulation de la conception du pouvoir dans le cours de 1978. O. Razac revoit le concept de gouvernementalité et de dispositifs de sécurité pour repenser leur actualité. Il résume l’approche généalogique de M. Foucault qui fait la « genèse » du pouvoir, de la gouvernementalité moderne. Ainsi l’art de gouverner a passé par plusieurs formes successives dans le temps. Du pouvoir pastoral hébraïque à la souveraineté du prince ; de la discipline avec l’apparition de la raison d’Etat au début du XVIIe et les physiocrates de la pensée libérale  du XVIIIe siècle ; enfin l’art de gouverner par  des dispositifs de sécurité qui génèrent des systèmes de mesure, de régulation, de réglementation et de gestion des phénomènes naturels, sociaux et économiques, bref de normation et de distribution de place dans la société. O. Razac propose de dépasser la critique « cynique » faisant de M. Foucault un commémorateur du néolibéralisme, de revoir et de pousser plus loin ces concepts au-delà de ce qu’ils sont devenus.  

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