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Nietzsche, le philosophe-artiste

  Résumés des Cahiers critiques de philosophie > n°12

Malgorzata Grygielewicz : La rencontre philosophique dans le jardin grec
Le problème de la philosophie consiste à prendre en charge l'environnement du monde dans lequel on est, avec ses voisinages, avec ses rapports qui se construisent et qui donnent sens à ce voisinage. On associe les Grecs à la naissance de l’Agora, lieu central de la ville où les citoyens se réunissent pour parler. Ce travail encourage à un déplacement en direction du dehors. Il faut oublier les murs de nos villes et leur place bien établie et ce qui sommeille dans l’usage des villes. La ville, l’agora que nous tenons pour la forme du « cours universel des choses » objective nos pensées. Il faut de nouveau établir, ce qui nous paraît nécessaire, un mouvement vers le dehors, pour sortir de l’agora, sortir dans le jardin ὁ κῆπος. Epicure enseignait : τᾶς φύσιος δ' ὁ πλοῦτος ὅρον τινὰ βαιὸν ἐπίσχει, la richesse de la nature se retient dans un petit enclos. La notion de frontière du jardin doit être pensée entièrement, elle n'est pas une ligne de séparation, mais un horizon mobile. Le terme « jardin » confère une vocation conceptuelle, confirme que les notions du vocabulaire philosophique tels que : jardin révolutionnaire, Dasein, séjour, lignes de fuites, hétérotopie, khôra, jardin non cultivé, sont des étapes sur le chemin de la pensée.

Silvia Stabile : Giordano Bruno, philosophe-artiste
La figure de Giordano Bruno a été le centre de nombreux contentieux quant à sa place : tour à tour philosophe, artiste, poète, magicien, les catégories usuelles ne semblent pas parvenir à saisir la totalité de son œuvre. G. Bruno est un de ces penseurs qui brouillent et débattent la distinction commune de la philosophie et de l’art, et c’est ce que Jean-Noël Vuarnet cherche à faire comprendre en décrivant G. Bruno comme un « philosophe artiste » : l’art n’est plus l’expression d’une philosophie, pas plus que la philosophie ne serait artistique simplement dans sa forme, mais l’un et l’autre se tiennent ensemble dans une pensée impure, mêlant mythos et logos. Silvia Stabile cherche ici à voir pourquoi art et philosophie doivent être associés selon Bruno, notamment par une lecture du Candelaio et de l’œuvre De gli eroici furori. En effet, il apparaît dans le premier aussi bien dans la structure, le genre que dans le contenu, que cette comédie ne peut être tout à fait distinguée des dialogues philosophiques de G. Bruno. Il en va de même pour la seconde composée de dialogues, poèmes et commentaires, nécessaires les uns aux autres pour appréhender la totalité de la pensée de G. Bruno : c’est que le monde ne peut être lu que sur un seul mode si l’on veut en saisir toute la complexité, tout le devenir multiple qu’il est. Et il nous faut voir, comme l’indique la formule du Nolain « In tristitia hilaris, in hilarite tristis », que la structure intime du monde ne peut se découvrir si art et philosophie ne sont pas en totale collaboration au sein d’une même pensée.

Franco Rella : Eros et connaissance
Dans cet article Franco Rella esquisse une généalogie de l’Eris de Platon à Bataille en tant que mouvement d’éloignement de l’animalité de l’homme vers la connaissance. Chez Platon, l’Eros est identifié à la philosophie en tant que le philosophe recherche avec violence la sagesse sans jamais l’atteindre tout à fait. Ici l’Eros s’apparente au démon-Socrate intermédiaire entre le savant et l’ignorant obéissant à « la folie érotique qui est la meilleure folie » du Phèdre. Cette chasse perpétuelle n’atteignant jamais le savoir prend chez Goethe à travers Faust la forme d’une fatigue, ou d’une exaspération chez Kierkegaard. Nietzsche répond alors de manière radicale à cette impasse en opposant le savoir (les arrières-mondes que poursuivaient Platon), à la vie (l’apparence qui « est dans son apparaître même »). Vient alors son lecteur, Thomas Mann, qui introduit un intermédiaire entre l’idée et le sensible, entre Apollon et Dionysos : Hermès, figure de l’art situé entre le céleste et le terrestre. Chez Bataille enfin, se confrontant à Hegel, l’Eros prend la forme d’une expérience intérieure, d’une poussée, qui tend vers le vide de l’apparence, vers le « ce qui est » de la chose et non le savoir.

Arnaud Villani : Le buffle et le paon
Arnaud Villani propose dans cet article d’examiner les liens que Nietzsche élabore entre musique et physique en tenant côte à côte Apollon et Dionysos pour voir où ils s’assemblent. La thèse est que la musique est description des lois de l’être, qu’elle s’apparente à la physis en tant que croissance et naissance : « Bach était là à la création du monde » nous dit Nietzsche. La force surabondante de la musique, l’excès dionysiaque chaotique, est croissance irrégulière au sein de la forme fixe apollinienne. Cette force qui fait croître de toutes parts dépose les formes par création redoublée, comme la danse est le surpassement artistique de la marche. Arnaud Villani nous fait voir toute la progression dialectique entre la musique, la force croissante —Dionysos — et la physis qui est naissance de formes — Apollon — sans délaisser l’un pour l’autre, mais allant jusqu’au symbole « pièce maîtresse de la physis ».

Antoine Mérieau : L’arc et les flèches : Nietzsche, la métaphore et la séduction
Antoine Mérieau approche ici ce qui ne semble être qu’une métaphore pourtant très présente chez Nietzsche — dans Zarathoustra surtout — pour montrer qu’elle signifie bien plus, jusqu’à en faire une théorie de la séduction. Deux tensions sont présentes dans cette métaphore : entre l’arc fixe et rigide, apollinien, et la corde qui le meut, la pulsion dionysiaque. La flèche quant à elle est tendue vers son but inexploré. Le modèle de forces s’exacerbant l’une l’autre est une tension créatrice comme une destruction. Et ce schéma va pouvoir, dans ce texte, dans ses rapports à la séduction et à la vérité, éclairer les notions les plus importantes de Nietzsche : le Surhomme, la Volonté de puissance et l’Eternel retour.

Alexandre Lissner : Nietzsche, la musique et la puissance Dans cet article, Alexandre Lissner interroge la musique chez Nietzsche en tant que puissance, force ou élan. Loin de la musique simplement représentative, qui dirait une chose du monde, qui aurait un signifié bien précis, il semble plutôt qu’elle possède un sens que ressent le spectateur : la musique ainsi conçue ouvre des possibles au philosophe, des solutions à des problèmes, en détruisant, par son rythme, les idoles figées de la moralité. Lissner analyse donc ce caractère libérateur de la musique qui permet à l’homme d’échapper à ce qui nous fige, en précisant cette notion primordiale de rythme.

Katharina Van Dyk : Les danses (in)actuelles de Nietzsche
La danse chez Nietzsche est habituellement étudiée par des philosophes qui cherchent en quoi elle peut éclairer la philosophie nietzschéenne. Ici, Katharina Van Dyk prend la question inverse : que peut apporter la philosophie nietzschéenne de la danse à la pratique de la danse ? Au-delà donc des commentaires habituels sur sa caractéristique de légèreté ou sur le Dieu dansant auquel pourrait croire Zarathoustra, l’auteure examine la danse dans La naissance de la tragédie où elle prend la forme d’une impulsion d’ivresse dionysiaque ensorcelante, où la vision apollinienne de la belle forme est toujours présente. Il s’agit alors de voir quelles danses peuvent s’inscrire dans cette théorie et quelles leçons elle peut apporter pour notre danse contemporaine.

Charles Feitosa Unirio : Du nihilisme européen selon Nietzsche au nihilisme brésilien selon Flusser
Charles Feitosa Unirio interroge ici le nihilisme européen selon Nietzsche pour mieux appréhender  et contrer le nihilisme brésilien que dénonce Vilemn Flusser dans son ouvrage Fenomenologia do brasieliero. Trois points sont observés par Flusser pour expliquer ce nihilisme : l’opposition entre une culture de masse et une culture d’élite, une relation aliénée à la nature, et un manque de responsabilité face à l’autre. Contre ceux-ci, il propose trois formes brésiliennes de lutte contre ce nihilisme : la solidarité entre les hommes brésiliens, leur capacité de synthétisation à partir de cultures multiples, ainsi que leur aptitude naturelle au jeu. L’auteur pose en conclusion — comme un défi aux philosophes brésiliens : faire de ces observations un programme pour sortir du nihilisme.

Ninon Grangé : Le terrorisme et l’état de guerre
Face aux nombreuses tentatives ratées de définition du terrorisme, quelles soient juridiques, sociologiques, ou cherchant à établir les points communs entre différents actes de terrorisme, Ninon Grangé répond ici au problème de savoir si le terrorisme correspond ou non à un état de guerre par une nouvelle définition du terrorisme. En effet cette notion pose de nombreux problèmes quant à la position des terroristes avec le peuple et l’Etat, à la dimension politique de l’acte, aux notions de guerre civile, de légitimité, de droit… L’auteure analyse donc le terrorisme à travers ces notions pour affirmer finalement que celui-ci, avec l’Etat menacé, ne crée pas un état de guerre mais une fiction de l’état de guerre utile à ces deux protagonistes.

Francesco de Undurraga : Récit policier et le crime qui l’habite
Francisco de Undurraga examine ici le récit policier de sa genèse — avec le journalisme du XIXe siècle et la parution de périodiques — jusqu’à son anoblissement en tant que genre à part entière avec des auteurs comme E. A. Poe ou A. Conan Doyle. Il conclut de cette origine une rhétorique du désir, de l’attente, présente chez ces auteurs, un esprit détaché face au meurtre, ou encore un attachement aux faits et au rationnel.

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