Numéros parus des Cahiers Critiques de Philosophies : | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 |
Résumés des Cahiers critiques de philosophie > n°14
Mercè Rius : Le discrédit de la raison politique
Le modèle de l'homme en tant qu'animal politique culmina avec celui de l'histoire, l'humanité devenant librement sa propre œuvre. Des philosophes contemporains (Nancy, Agamben) ont constaté l'impossibilité de celle-ci. Quand la réalité humaine se définit comme réalité politique et que la praxis adopte la forme de la technè, alors le discrédit de la raison politique entraîne celui de la réalité même. Cet article s'interroge sur l'impolitique en comparant deux concepts : l'« im-possible » chez Massimo Cacciari et l'« ir-réalisable » chez Sartre.
Bruno Cany : Antonin Artaud, l’homme-théâtre venu de l’Ailleurs
Artaud, qui émerge d’une crise radicale de la dépossession de soi, a révolutionné le théâtre et bouleversé la pensée – pas uniquement celle du théâtre. Il a engagé le théâtre et la poésie dans une révolution philosophique : le théâtre ne doit plus être psychologique et sociologique, mais il doit être total et métaphysique.
Artaud s’inscrit dans la filiation à la renaissance de la Philosophie-artiste initiée par Kierkegaard et Nietzsche au xixe siècle. Mais il rompt avec ces grands devanciers, qui continuaient à penser la pensée-artiste sur le mode de la musique (héritage pythagorico-platonicien), et fait entrer le théâtre et la pensée dans la révolution visuelle de la modernité. Pour lui le théâtre, qui est un art de la pensée visuelle, offre à l’image une concrétude que les autres arts ignorent.
La pensée théâtrale élabore ainsi : l’homme duel, un mixte d’âme et de corps, pensé à partir du corps ; l’homme hiéroglyphe, qui communique avec tout son corps (et non pas uniquement avec sa bouche), et qui est interface du visible et de l’invisible humain, divin et cosmologique.
A partir du Double, qui est le correspondant sur scène de la chair, et qui est la masse indistincte de l’âme et du corps, base organique du théâtre, et à partir de la Cruauté, qui est le correspondant sur scène du langage, et qui est la force qui anime le Double et lui fait faire des signes, Artaud élabore une anthropologie poético-métaphysique singulière.
Quand les lieux de spectacle ne se présentent plus à lui, l’homme-théâtre se replie sur lui-même faisant de son corps son propre espace théâtral. Il découvre alors que le corps de l’homme-théâtre est un corps sans organes, un corps débarrassé des fonctions vitales qui encombre le corps physiologique et pollue nos vies quotidiennes. Mais bientôt, poussé par les échecs répétés, la théâtralité nomade se déplace encore, passant de l’homme-théâtre au théâtre-poésie, dont la scène est la page de ses cahiers d’écolier où la pensée se « graphitise »…
Or, cette pensée fulgurante — et fulgurante dans la durée ! —, qui croît de manière exponentielle, se nourrit de dialogues philosophiques transculturels. Cette pensée expérimentale, en rupture radicale avec la culture occidentale, se nourrit de dialogues avec les Ailleurs. Dialogues d’abord anthropologique, dans le cas de la folie, qui lui permet de mettre au point son dualisme dialectique ; ensuite culturels, avec l’Antiquité gréco-romaine, qui lui permet de dégager sa conception de la cruauté ; avec le Théâtre Balinais, qui lui révèle la présence physique de la métaphysique ; et avec le Pays Tarahumaras, qui le plonge dans l’efficacité performative de la magie…
Jan-Ivar Linden : Tel mode d’expérience, telle guerre
L’expérience historique s’exprime et sans cette expression — philosophique ou autre —, tout énoncé reste abstrait ou même vide. Le discours sur la guerre ne fait pas exception. Sans avoir personnellement traversé les horreurs des conflits militaires, comment parler sans produire des phrases abstraites et en manque de rapport — ou pire encore, sans prononcer des mots qui risquent de transformer les souffrances réelles en objets d’un regard « neutre ». C’est donc en retenant le caractère profondément impliqué de la réflexion philosophique qu’il faudrait comprendre les transformations successives de la machine guerrière et en particulier sa forme dominante d’aujourd’hui : une sorte de distanciation ultime du visé, celui-ci souvent touché dans un monde archaïque, dont le symbole pourrait être la simultanéité des morts dans l’attentat suicide.
Alfred R. Gambou : L’éducation : Peut-on la penser comme temporalité ?
Dans un contexte où les questions vives en éducation semblent se poser et s’interpréter à l’aune des exigences performatives de nos sociétés, cet article au contraire, propose d’en faire une analyse à l’aune de la compréhension ontologique de notre actualité, de notre époque. Dès lors, si la question de l’inter-compréhension humaine s’inscrit, à nos yeux, au creuset d’une nouvelle didactique pour penser une nouvelle éthique professionnelle enseignante, il nous faut en même temps admettre la nécessité de re-questionner voire de repenser dans cette perspective ce qu’est l’éducation. Ainsi, cet article essaie de faire un travail d’interprétation à partir des travaux de Giorgio Agamben sur ce que signifie être contemporain dans le champ de l’éducation, afin de tenter, à la lumière de celui-ci, de questionner à nouveaux frais ce que doivent être la fonction et la finalité actuelle de l’éducation dans le contexte. Tel est l’itinéraire qu’entend prendre notre analyse.