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Résumés des Cahiers critiques de philosophie > n°4
Georges Navet : Le philosophe conspirateur
L’article analyse les ambiguïtés du narrateur du roman de Paul Nizan, La conspiration. Ce narrateur apparaît sous deux faces contradictoires : 1/ celle d’un homme mûr qui jette sur ses jeunes héros le regard d’un sage revenu des illusions de la jeunesse ; 2/ celle d’un homme qui identifie la véritable sagesse au non engagement et au romanesque de la jeunesse. L’article interroge, sur le fond de cette dualité, les rapports qu’entretiennent dans le roman le romanesque et la philosophie, le temps ludique et le temps historique, la logique de la conspiration et la logique policière, et conclut sur l’ironique ambiguïté du titre de l’ouvrage.
Roman Dominguez-Jimenez : Archipel : Esquisse sur les dehors de la philosophie européenne
La thèse sous-jacente à ce texte est la suivante : Le « lieu » de la pensée n’est rien d’autre que la Terre elle-même avec ses plis, y compris les vagues de l’océan, mais aussi les cités et les bidonvilles. L’écrit est divisé en six parties ou « îles ». Dans la première partie, on essaie de définir un « continent philosophique ». Dans la deuxième, on parle de la dérive du continent américain. Dans les deux suivantes, on distingue les dérives anglo-saxonnes et hispaniques dans ledit continent. Dans la cinquième, on aborde les flux de métissage dans l’Amérique dite espagnole. Dans la dernière, on encourage une philosophie qui puisse s’allier aux troupes continentales, à la manière d’une machine de résistance. La philosophie est européenne à l’origine, mais les concepts n’appartiendraient peut-être qu’à des troupeaux opprimés, mal formés et méprisés. On a besoin de concepts pour des continents mineurs. Il n’y aurait plus des continents, mais des îles. Archipel : ensemble d’îlesunies par ce qui les sépare, une mer, un dehors pur. Il faudrait bien opposer à l’universalisme du Capital, l’œcuménisme étrange d’une philosophie faite pour les races bâtardes de cet archipel. Voici ce qui annonce assurément le seuil de ce qu’on peut penser à la suite de G. Deleuze et F. Guattari.
Jeremy Bentham : De la nomographie (ou l’art d’écrire la loi)
Pour Bentham, la loi désigne l’expression d’un acte ou l’état d’une volonté sur une autre. Et si le contenu de la loi est l’effet de ladite expression, sa forme comprend à son tour les moyens par lesquels on arrive à un tel résultat. La nomographie est ainsi l’art de la forme de la loi, c'est-à-dire aussi l’art de réformer les outils de celle-ci, qui ne sont rien d’autre que les signes mêmes du discours, des codes, de la langue même. Ici, réformer, c’est rendre à la loi son écriture optimale, puisque Bentham a observé, d’une part, qu’écrire c’est donner expression, rendre forme ou signification à un contenu et que, d’autre part, bien écrire une loi c’est inscrire l’expression qui maximise le contenu : l’effet ou pouvoir d’une volonté supérieure qui agit sur une autre, inférieure. Le dessein de Bentham dans son texte intitulé justement Nomography — dont nous présentons quelques extraits dans une traduction française de J.-P. Cléro —, c’est de repenser l’écriture du nomos (law, loi) à l’aune des relations entre la langue et le pouvoir de la volonté sur autrui afin qu’ils puissent exprimer son expression la plus durable et générale, autrement dit, son utilité la plus grande. De ce fait, Bentham établit dans cet écrit quelques enjeux de la nomographie : l’établissement de son sujet, la complexité du contenu dans le gouvernement d’un Etat, sa relation avec la logique et le corpus des lois (pannomion), sa fin générale, ainsi que les fautes et vices à éviter pour y parvenir. Il faudra donc montrer comment les lois ont été rédigées et comment elles devront l’être. Il s’agit de la recherche d’une nouvelle manière d’écrire la loi.
Anne Brunon–Ernst : Les métamorphoses panoptiques : de Foucault à Bentham
Cet article présente une vue synthétique des quatre Panoptiques de Jeremy Bentham. L’approche est d’abord descriptive car elle s’axe autour des spécificités architecturales et organisationnelles de chaque bâtiment et elle explique les raisons historiques et théoriques de ces différences. Cette étude donne ensuite les diverses interprétations du Panoptique, depuis M. Foucault jusqu’au Centre Bentham de Paris, en passant par les études américaines et celles du J. Bentham Project de Londres. Ce panorama permet de mettre en lumière les liens entre la philosophie benthamienne et les Panoptiques. Les recherches les plus récentes montrent la relation complexe de Foucault et de l’utilitarisme benthamien : M. Foucault aurait une connaissance plus précise de la philosophie benthamienne que les spécialistes de Bentham ne le pensaient jusqu’à présent.
Jean-Pierre Cléro : Quelques difficultés symptomatiques de la théorie benthamienne des fictions
La théorie des fictions est la pièce fondamentale et la pierre angulaire des oeuvres de Bentham parce que la loi, l'éthique, la politique, l'économie la requièrent pour s'édifier. Toutefois la façon dont Bentham conçoit la fiction reste classique et elle ne dépasse guère, en dépit de la suprématie de sa réflexion philosophique, l'usage que l'on trouve chez Descartes ou chez Leibniz. Le propos est d'établir que le mode d'approche des fictions que l'on peut voir au travail dans La religieuse de Diderot dépasse la conception de J. Bentham : l'utilitarisme pourrait bien être un obstacle à l'évolutionnisme qui, vu avec les yeux de Diderot et de Hume, livre précisément une clé de la différenciation entre des fictions acceptables et fausses.
Marie-Laure Leroy : La « dynamique psychologique » selon Bentham : une théorie de la motivation
L'objet de cet article est de montrer que chez J. Bentham, la fonction principale de la théorie de l'action est de constituer une anthropologie utilisable à des fins politiques. S'inspirant de la loi de l'attraction en sciences physiques, J. Bentham affirme que la volonté est toujours motivée par la recherche de l'intérêt, c'est-à-dire par la perspective de ressentir un plaisir ou une douleur. Cette hypothèse ne le conduit pourtant pas à penser que le libre arbitre soit nécessairement une illusion. Ce problème philosophique, ainsi que celui de la nature de l'esprit, sont d'après lui insolubles, car le recours à la pierre de touche de l'expérience ne peut leur apporter de réponse. J. Bentham pense que les hommes ne sont pas seulement attirés par le plaisir physique, mais peuvent rechercher des satisfactions psychologiques. Ainsi, même lorsque nous agissons d'une manière ascétique, vertueuse ou altruiste, nous restons des hédonistes centrés sur nous-mêmes. Cependant, même si notre volonté est toujours mise en mouvement par l'intérêt, nous ne savons pas toujours quel est le meilleur moyen de promouvoir notre bonheur, car notre entendement peut manquer de clairvoyance.
Malik Bozzo-Rey : Qu'est-ce qu'une loi ?
Nous nous attacherons à montrer la nécessité théorique, logique et conceptuelle de la définition du mot loi en tant qu'individualité juridique au sein de la théorie benthamienne du droit. C'est grâce au principe d'individuation que J. Bentham peut établir une telle définition et lier ainsi sa théorie du langage à sa théorie du droit. La définition qui ouvre Of Laws in General définit une loi comme l'expression d'une volonté du souverain dans un Etat. J. Bentham s’'attache à étudier les aspects de cette volonté grâce à une nouvelle logique : la logique de la volonté — en rupture avec celle d’Aristote — et qui s'attache à analyser les relations logiques entre ces différents aspects au sein d'un corps complet de lois. Ses principes, en identifiant le commandement, l'interdiction, la permission et la non-interdiction, la situe en prémisse de la logique déontique contemporaine. L'expression de la volonté a donc une partie directive qui veut agir sur la conduite des gens. La définition expose également une partie sanctionnante qui constitue une originalité benthamienne puisqu'il s'agit de prendre en compte, même si elles ne sont pas nommées, l'ensemble des sanctions en lien avec le plaisir et la douleur. Apparaît alors une nouvelle typologie entre lois principales et subsidiaires qui consacre la tâche de la loi comme contrôle social. L'identification de la source, des sujets, des objets, des aspects de la loi et la mise en place des principes d'une nouvelle logique placent Bentham au coeur des débats de la théorie contemporaine du droit.
Guillaume Tusseau : Etat et démocratie dans la politique constitutionnelle de Jeremy Bentham
Bien qu'il soit malaisé de déterminer précisément à quel moment J. Bentham est devenu un démocrate, il a systématiquement soutenu que la démocratie, contrairement aux autres régimes politiques, constitue le moyen de réaliser le plus grand bonheur du plus grand nombre. Dans son Code constitutionnel, il offre le plan complet d'un dispositif institutionnel reposant sur des autorités nationales et locales responsables, sur la compétence des agents publics, les élections, sur la transparence et la publicité. En insistant, à travers le « tribunal de l'opinion publique », sur le contrôle populaire, il dresse le portrait de l'Etat constitutionnel contemporain.
Christian Laval : Comment penser le gouvernement des hommes ?
La théorie du pouvoir de M. Foucault doit beaucoup à J. Bentham. Les formules et la conceptualisation du philosophe français ne peuvent être comprises que si l’on connaît les écrits de J. Bentham qui produit une théorie du pouvoir s’appuyant sur les faits. Des hommes obéissent, d’autres gouvernent. L’originalité de cette théorie tient à l’immanence du pouvoir : il est le caractère de toute relation. Le problème est de savoir comment s’exerce réellement le pouvoir ? Pour l’expliquer J. Bentham utilise des instruments qu’il a inventés : logique de la volonté, théorie des fictions, dynamique psychologique. Cette théorie permet de lutter contre les intérêts nuisibles des dirigeants. Elle est l’un des fondements de sa philosophie démocratique.
Christophe Chauvet : Bentham et l'invention de la bureaucratie
Cet article se propose de revenir sur une lecture classique, mais erronée, qui a fait de J. Bentham un économiste libéral. Nous démontrons au contraire qu’il est l’un des inventeurs de la bureaucratie. Deux axes sont privilégiés pour y parvenir. Dans le premier, on présente les contours de l’Etat à partir des missions que J. Bentham entend lui confier, et elles sont nombreuses. Dans le second, on s’intéresse à l’organisation qui est alors mise en place par l’auteur pour les réaliser de manière efficace. En bien des points, celle-ci préfigure les traits de l’Etat moderne.
Emmanuelle de Champs : Bentham en langue française
La France a joué un rôle prépondérant dans la diffusion des idées benthamiennes. Du vivant du philosophe, les versions de ses œuvres compilées par Etienne Dumont furent largement distribuées en Europe. A la fin du XIXe siècle, la formation du radicalisme philosophique d'Elie Halévy renouvela durablement les approches de la philosophie utilitariste. Malgré les qualités des traductions de Dumont, le Genevois imprima son empreinte sur les idées de Bentham omettant, notamment, les différents aspects de la « théorie des fictions » et soulignant les implications conservatrices de la politique utilitariste. Halévy, quant à lui, philosophe de formation et marqué par l'idéalisme platonicien, négligea, comme Dumont, les implications ontologiques et morales de l'utilitarisme. Il mit en valeur les apparentes contradictions de la philosophie de Bentham et souligna les aspects anti-libéraux de ses écrits politiques. Cet article rappelle l'importance d'une analyse critique des sources françaises consacrées à J. Bentham au XIX e siècle.
Ivan Chaumeille : Pourquoi l’Etat ?
Ivan Chaumeille présente ici un extrait du fonds sonore François Châtelet conservé à l’IMEC (Abbaye d’Ardenne, Caen). Il s’agit d’un enregistrement sonore d’un colloque Pourquoi l’État ? co-dirigé par F. Châtelet et Isabelle Orgogozo qui s’est tenu à l’Université de Vincennes-Paris 8 en juin 1978. I. Chaumeille montre que le problème de ce colloque passe moins par le fait de savoir quel serait le bon État que par l’étude de l’État comme forme de souveraineté. Tel est le sens des communications de G. Mairet et de F. Châtelet que Chaumeille a privilégié pour cette introduction. C’est ainsi que G. Mairet nous rappelle que pour Machiavel l’État ne renvoie pas à une forme de souveraineté parmi d’autres, mais est la souveraineté en personne. Toutefois, c’est Bodin le premier qui a distingué l’État et le gouvernement, auxquels correspondent respectivement la puissance souveraine (perpétuelle dans le temps) et le pouvoir (dont la fondation est accordée par la puissance souveraine, et exercé temporellement). Dès lors, G. Mairet souligne que le propre de la forme État, c’est l’immanence du principe de souveraineté et de la forme sous laquelle celle-ci s’exerce. À son tour F. Châtelet apporte une précision à la thèse que développe G. Mairet à partir de Bodin : l’autonomie de la forme est elle-même une idée politique qui dépend d’une certaine contingence historique. Selon Châtelet, le triomphe de la forme État n’est pas tant l’instauration d’un pouvoir nouveau que dans la formalisation de pouvoirs déjà existants. F. Châtelet postule que la forme État est une forme vide, transcendance absolue qui se présente comme réalité toute-puissante. D’où, pour F. Châtelet, le leurre qu’est l’État. Car l’État n’existe pas au sens où il n’existe pas d’acte pur qui puisse réduire le réel au nécessaire, soumettre la vie, la société au cadre pur et vide de l’obéissance.
François Châtelet : Brouillon pour une introduction à l’étude de l’Etat savant
A contre-courant de ceux qui reprochent un peu rapidement et un peu trop facilement à la rationalité les maux de l’époque (violence étatique, aliénation individuelle et collective, exhaustion des ressources naturelles…), F. Châtelet décide, dans ce texte, d’esquisser la généalogie des mécanismes qui sous-tendent le rapport entre l’État et le Savoir contemporains, et il désigne « État Savant » la configuration générale de ces mécanismes. Or, il se trouve que cette notion ne signale nullement un État détenteur d’un savoir objectif et progressif, mais la façon dont les pouvoirs opèrent une idée unifiante et transparente de la raison afin de modeler les mouvements, les ralentis et les accélérations, les déterminations et les libertés de ce qu’il appelle « matière sociale ». F. Châtelet observe qu’il ne suffit pas de réclamer un « supplément d’âme » à l’État, ou encore de se plaindre de l’éternelle décadence de la civilisation. Il ne suffit pas non plus de croire que ce salut viendra, après correction de l’état de chose, de la vraie science, mathesis universalis, marxiste ou non. Car la vraie simulation réside dans la prétention de la part des appareils d’État à un Savoir unique, à un seul Maître. Prétention de transparence entre la Science et l’État ; entre l’État et la société ; entre les sciences, les savoirs et la technologie ; bref, entre ce qui est politique et ce qui est du savoir. Transparence prétendue qui, malgré tout, nous permettrait d’entrevoir, au milieu de sa faillite, c’est-à-dire à travers des effets funestes de l’Etat savant, la nudité de celui-ci. Laquelle, à son tour, ne serait rien d’autre que la grandeur de sa faiblesse.
Jean-Pierre Faye : Heidegger en très faible raison
Le titre du texte que nous présentons ici ne laisse aucun doute : c’est la riposte de Jean- Pierre Faye à la polémique qui a suivi la non publication chez Gallimard, puis la parution effective chez Fayard en janvier 2007 du livre collectif (sous la direction de François Fédier), Heidegger à plus forte raison. Il se trouve que ledit ouvrage se présente aussi comme une sorte de réponse au livre d’Emmanuel Faye, Heidegger, l'introduction du nazisme en philosophie, paru en 2005 chez Albin Michel. J.-P. Faye, jusqu’alors demeuré silencieux, se trouve contraint à répondre lorsque Fabrice Hadjadj souligne dans Le Figaro du 18 janvier 2007 qu’E. Faye ne ferait que poursuivre « l’héritage de son propre père, Jean-Pierre Faye qui, depuis cinquante ans, s'échine à démontrer le nazisme de Heidegger ». La réponse de J.-P. Faye consiste précisément à montrer la nature de cet « échinement » prétendu : Faye ne cherche point à interdire Heidegger dans les bibliothèques françaises ni à l’introduire dans l’index des auteurs nazis, mais à faire lire Heidegger tout entier, dans les soixante-huit volumes de sa Gesamtausgabe que celui-ci a préparée de son vivant. Lire Heidegger « même si ça fait mal à la pensée », voilà la tâche philosophique la plus urgente selon lui. Lire les passages où Heidegger dénonce l’ennemi à l’intérieur du Dasein d’un peuple : le « danger asiatique juif » (Asiatisch-jüdische Gefahr), mais aussi l’opposition entre Héraclite, penseur grec (germanique !) et Philon d’Alexandrie le représentant de « la philosophie de la religion juive ». Sans doute, faudra-t-il pour cela lire Heidegger comme on lit les fragments de Diogène Laërce pour lequel philosophie et vie ne sont qu’une seule et même chose. Et c’est à partir d’une lecture minutieuse que Faye nous invite à repenser les « impensés » de Heidegger, tout en montrant que ses propos nazis ne demeuraient pas de simples dérapages occasionnels, mais qu’ils constituent les signes explicites d’une démarche implicite : la chute de l’être qui envahit la métaphysique après Héraclite. Chute que n’ont pu empêcher, aux yeux du penseur allemand, ni les Lumières ni la Renaissance.
Jens Badura : Critique déconstructive de la mondialisation
Quel est l’objectif de la critique altermondialiste ? Est-ce qu’il s’agit de réclamer un autre monde ? Ou s’agit il d’un projet d’explication? Une critique altermondialiste adéquate ne devrait-elle pas s’orienter vers l’idée que le monde est toujours autrement possible ? Et, par conséquent, identifier et critiquer tout projet de détermination du monde quel qu’il soit ? L’article enquête sur cette deuxième perspective en esquissant un mode de pensée intitulé « critique déconstructive ».
Christiane Vollaire : Formes de l’irrationalité médicale
Il arrive souvent qu'on reproche à la médecine un excès de rationalité qui s'affirmerait au détriment d'une ambition d' "humanité". Cet article veut montrer au contraire que c'est un déficit de rationalité authentique, c'est-à-dire de mesure dans ses ambitions et de réflexivité dans les moyens qu'elle met en œuvre qui peut la rendre thérapeutiquement défaillante ou socialement discriminante.
Les ouvrages récents qu'on examine ici montrent que, dans l’émergence des sciences fondamentales comme dans la pratique du « Colloque singulier », dans l’analyse de la maladie et de ses implications comme dans le fonctionnement de l’institution hospitalière, dans les enjeux économiques du système de santé publique comme dans ses fonctions idéologiques, partout où la médecine s’affirme comme puissance de rationalité (dans ses savoirs, dans ses pratiques et dans son institution), on peut lire au contraire en creux les signes évidents d’un déficit de rationalité, que ces différents travaux, chacun dans l’orientation qui est la sienne, nous permettent d’analyser et d’interpréter.
S’il y a évidemment une forme paradoxale de démesure dans le rapport que la médecine entretient avec la quantification (biologique ou financière), et une forme d’irrationalité dans les conceptions qu’elle se fait de sa propre scientificité, c’est bien le regard critique des sciences humaines et de la philosophie qui peut mettre en évidence cette hypertrophie dans la revendication d’un monopole des sciences exactes sur la pratique médicale. Face à l'énormité des enjeux socio-politiques qu'elle cristallise, aucune exigence de rationalité scientifique ne peut se légitimer par la simple institutionnalisation de son pouvoir technique.